Speaking In Tongues
Guided by Voices


Danila DAVYDOV

quelques poèmes traduits par Alexandre Karvovski




* * *





Lot pitoyable de ceux qu'on a tués dans leur sommeil:
savoir que n'est ici ni là-bas
de refuge. Ils n'errent pas dans la nuit
par désir de vengeance,
par honteuse passion du terrestre -
la variable les pousse. Buridan,
doit-on croire, n'était pas un benêt et son âne,
doit-on croire, n'était pas un âne simple.
Pour dire ce qui fait que
l'écho vous répond et le cur bat
il ne suffit pas de posséder la dialectique ni
de toucher de main trépide le postmoderne:
le voici remuer sur la table transpirante,
il aimerait le garder pour soi mais n'a pas la force de se taire.
Or, je me répète, il ne suffit pas que batte
le cur, il faut qu'encore les dents claquent.






* * *





La vilaine chose qu'il a faite (1)
mais la vilaine chose qu'il a faite
il a longuement hésité il a regardé d'un côté de l'autre
il a longuement hésité et puis il n'a pas pu se retenir




avec ses souliers tout neufs par la rue familière
il va chez son amour il rentre chez lui
il écrit des mensonges dans une langue qui n'est pas russe
il a une veinule bleue à la tempe




il a un passeport étranger ce n'est pas un ressortissant russe
il a dans sa poche une paire de lunette et des cachets d'analgine
il a trouvé un machin il a écrit un livre
à cur ouvert donné un coup de canif




voilà la vilaine chose qu'il a faite
la voilà la vilaine chose
fuis d'ici mon bon si tu ne veux pas numéroter tes abattis
mets les bouts mon cher tant qu'ils ne t'ont pas percé à jour






* * *





des adultes des gens sérieux
se consacrer à de pareilles inepties
honteux
probablement les parents quand ils étaient petits
ne leur ont pas parlé
des techniques de la respiration par la bouche






* * *





je ça saute ça pleure ça mange
jusqu'à plus faim tout
pardonne mon corps mon ange
l'hélico ne te sauvera pas
il ne mettra pas longtemps à trouver la route
il larguera un patronyme un sexe
et le cur qui s'obstine à battre
dans la pharmacie portative comme un verbe en cage






* * *





simple comme le métropolitain
au milieu des façades hades murs
cristallise-toi à petit régime
pendant que le chien t'attend
mais tu-tu crache ton kopeck
et restitue ton ticket périmé






* * *





je n'ai pas su correctement collationner
victoire et défaite (2)
j'étais en visite l'accueil fut cordial
l'académicien m'a téléphoné
moins qu'une voix - aboyé glapi trompeté hurlé
prends prends-moi avec toi !
c'est la radio qui le demande. entrée dans
l'autre monde interdite aux appareils






* * *




ami mon ami adopte
le nouveau langage le langage des gestes
seulement ne le dis à quiconque
que tu as désappris à parler
et bredouille tout bas
gesticule tout haut
mais attention comme si les gestes n'avaient pas de sens
comme si il y avait du sens dans les mots
vois ce passant qui serre dans la main
un pistolet cela signifie que c'est
notre nouvel ami notre nouvel ami
il entend apprendre le langage
le nouveau langage le langage du coup de feu dans la rue






PROJET DE JOURNAL LITTÉRAIRE SUR INTERNET

Succession de romances en alternance avec d'autres trucs





à I.Koukouline et St. Lwovski




1




plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
je serai point indépendamment de moi
à tourner là-bas là-bas quelque part
en tripotant dans les doigts le nimbe de fils
en me donnant aux arbres et aux fleurs




plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
je courrai sur les fils en petite tenue
un sachet de polyéthylène dans la main
tu sais ce qu'il y a dedans pédé ?
ma provision de sûreté (3)






2





mon fournisseur d'accès habite très très loin sous la terre
il ne monte jamais à la surface et s'occupe de fadaises




mon fournisseur d'accès se nomme freddie krüger
il n'a plus de dents de cheveux ses jambes ses bras sont secs




mon fournisseur d'accès rêve à guelman et gouchchine (4)
il hurle de terreur se réveille déplace les objets par la force du regard




mon fournisseur d'accès est habité par les esprits des ténèbres
nous pourrions en être




mon fournisseur d'accès s'avère chaque fois quelqu'un d'autre
mais ce n'est pas une raison gentil lecteur pour m'envoyer paître




de mon fournisseur d'accès il sera dit dans mille ans
quel dommage qu'on n'ait pas su garder son serveur son squelette






3





le rédacteur qui regagne son domicile
ressemble à une marmotte non un zisel
il fait le beau devant le feu rouge
il dit veille à observer
la concomitance des images et l'observe
quand inerte sur son char
le diablotin de maxwell gaze gaze
deux roues qui tournent plus vite dans un
sens les deux autres dans l'autre
ah si c'était là le processus littéraire
on pourrait se montrer un peu plus tolérant
ne pas dire à celui à qui de toute façon tu ne le dis pas
mais à part soi non plus à part soi en pensée
quelque part ne jamais faire ça
ou alors en cas de nécessité particulière ici par ex.
à l'intersection des deux ombres
ou des trois là vous voyez






4





encore je puis noter
que je ne peux ne pas noter
comme tout ceci évolue
tandis que vous autres crétins ne notez rien du tout
c'est-à-dire vous autres crétins vous le notez
mais précisément vous n'êtes pas des crétins
je serais mal venu de vous injurier
vos viandes sont légères
vos faces basilesques
en d'autres termes votre divinité éclate






5





plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
ah aimable lecteur ce ne sont que des mots
qu'est-ce qui ne vous passe pas par la tête
à peine l'ai-je vidangée à demi
les mots les mots les mots reviennent au galop




plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
je serai comme mon copain gaïduk (5)
vérité sauvegardée sur disque dur
avec la natte dans le cervelet et la lumière au bout du
mon name est www.excusez.ru






6





conséquemment soyons asiatiques partons au kazakhstoin
envers et contre entropie et check-points
et si kouzmine dit que la rime est mauvaise
je cesse d'aimer mes abattis
faut pas m'en vouloir petit-mitri




ou bien allons au bourg de Peter vendre le crackson
nous gargariser de golynko-wolfson faire le con
et si le mot con vous déplaît
ne me causez plus jamais
(c'était pour rire)




nous n'aimerons plus que la littérature
nous n'éditerons plus que moi
nous n'aimerons plus que les bêtes
nous n'éditerons plus que moi
nous n'aimerons plus que la bêche
nous n'éditerons plus que moi
nous n'aimerons plus que l'interlignage
nous n'éditerons plus que moi






7





plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
j'aurais dans l'oreille un appareil auditif
j'aurais dans le dos une mitraillette oh-oh-oh
mon fournisseur d'accès ne sera plus mon frangin




plus jamais je ne téléphonerai à personne
plus jamais je ne parlerai à quiconque
plus jamais je ne serai moi-même
plus jamais je ne fermerai les yeux
je regarderai la télé exclusivement
ou alors je chanterai ce petit chant




y a personne au foyer
excepté xcepté xcepté xcepté
excepté petit-Vania
aïe pourquoi vous lui faites ça




mars 1999


1. Ce texte renvoie à un poème célèbre de Boris Pasternak parodié par Vladimir Nabokov et en rapport avec Le docteur Jivago et Lolita respectivement. À noter qu'avec quelques autres ci-dessous, l'original est un poème compté et rimé quoique assez librement. N.d.T.
2. Autre référence à Boris Pasternak. N.d.T.
3. Provision de sûreté est aussi le nom d'une revue de critique élitiste. N.d.T.
4. Personnalités du monde des arts et des lettres en pointe, très présentes sur le net. Et plus bas, quelques jeunes poètes et critiques de la cuvée Danilov. N.d.T.
5. Hippie et écrivain marginal. N.d.T.